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Marcel Paul. Etat civil : « enfant trouvé ». Raison sociale : ministre de la production industrielle à la Libération.
Ambroise Croizat. Etat civil : « fils de manœuvre ». Raison sociale : ministre du travail et de la sécurité sociale de 1945 à 1947.
Michel Etiévent, historien, retrace entre documents inédits, les parcours féconds de Marcel Paul et d’Ambroise Croizat, deux personnages essentiels du vingtième siècle qui ont consacré leurs vies à l’invention sociale.
Il suit l’extraordinaire chemin de Marcel Paul, enfant abandonné sur un banc, tour à tour secrétaire général de la fédération CGT de l’Energie, ministre communiste de la production industrielle du Général de Gaulle à Libération. Entre luttes, résistance, déportation, l’homme forge les plus grands acquis du siècle.
Du conseiller de Paris, père des secours d’urgence et des crèches, au fondateur d’EDF-GDF et du statut des électriciens et gaziers, c’est une vie entière vouée à l’innovation sociale.
A ce chemin s’enchevêtre celui d’Ambroise Croizat, secrétaire de la Fédération CGT des métaux, député de Paris, ministre communiste du travail à la Libération.
Bâtisseur de la sécurité sociale, créateur de la retraite pour tous, il laisse un héritage impressionnant : médecine du travail, comités d’entreprises, conventions collectives…
Michel Etiévent entrelace les parcours de ces deux complices de luttes qui forgèrent ensemble ce qui fonde aujourd’hui l’identité sociale de notre pays.
Avec ces biographies croisées, il nous livre le passionnant roman de deux hommes qui ont su donner au siècle le goût de la solidarité et de la dignité.
Marcel Paul
Né le 12/07/1900 à Paris 14ème
Disparu le 11/11/1982 à L’Ile Saint-Denis (93)
Ouvrier électricien, conseiller municipal de Paris de 1937 à 1939.
Résistant, déporté à Buchenwald, député de la Haute-Vienne de 1945 à 1947.
Ministre de la Production industrielle de novembre 1945 à novembre 1946, c’est sous son ministère qu’a été votée la loi de nationalisation de l’électricité approuvant le statut du personnel de ces deux industries (22 juin 1946).
Elu Président du Conseil Central des œuvres sociales du personnel des industries électrique et gazière (CCOS) en 1947, il en devient le vice-président de mars 1948 à septembre 1949 puis à nouveau le président jusqu’au 17 février 1951, date de la dissolution de cet organisme par le gouvernement.
Il est le premier Président du comité de coordination des CMCAS créé par le décret du 3 février 1955 et mis en place en janvier 1957.
Il occupe successivement les mandats de président, secrétaire général et Président d’honneur de la fédération CGT de l’énergie de 1946 à 1982.
Membre du comité central du PCF de 1945 à 1964. Président fondateur de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes (FNDIRP).
Ambroise Croizat
naît un 28 janvier 1901 comme fils d’usine. Entre l’éclat des fours et la lumière des coulées, son père, Antoine, est ouvrier. Douze heures par jour à enfourner des bidons de carbure pour huit sous de l’heure. à peine le prix du pain… En cette aurore de siècle, dans la cité ouvrière des Maisonnettes à Notre-Dame-de-Briançon, en Savoie, on vit encore la misère qui court les pages de Germinal. Accidents de travail quotidiens, pas de Sécu, pas de mutuelle, pas de retraite. Le niveau zéro de la protection sociale. L’espoir, c’est le père qui l’incarne.
En 1906, il lance la première grève en Savoie. Une grève pour vivre, pour être digne. Dix jours de bras croisés pour la reconnaissance du syndicat et de la caisse de secours. Une grève pour le droit à la santé, tout simplement. Il l’obtient mais de vieilles revanches l’invitent à s’embaucher ailleurs.
En 1907 à Ugine, une autre grève, un autre départ obligé, l’errance vers la région lyonnaise. C’est là qu’Ambroise prend le relais du père qui part vers les tranchées et la guerre. A treize ans, il est ajusteur, et derrière l’établi résonnent les mots du père : ” Ne plie pas petit. Marche dignement. Le siècle s’ouvre pour toi. “.Le chemin va s’ouvrir par une manifestation contre la boucherie des hommes.
Ambroise adhère à la CGT puis à la SFIO. A dix-sept ans, il est sur tous les terrains de lutte. Il anime les grandes grèves de la métallurgie lyonnaise. Reste à faire le pas. Celui du congrès de Tours, où il entre au PCF en 1920. ” On le voyait partout, dit un témoin d’époque, devant les usines, au cour d’une assemblée paysanne ou d’une cellule de quartier. Il était là dans son élément, proche des gens, proche du peuple d’où il venait. ” Antimilitarisme, anticolonialisme, les deux mots tissent les chemins du jeune militant, entre une soupe populaire et les barreaux d’une prison de passage.
En 1927, il est secrétaire à la fédération des métaux CGTU. La route à nouveau, ” militant ambulant “, un baluchon de VO à vendre pour tout salaire. Commence un long périple en France, où il anime les grèves de Marseille et de Lorraine, les comités de chômeurs de Lille ou de Bordeaux. Sur le terreau de la crise germe le fascisme. ” S’unir, plus que jamais s’unir, disait-il, pour donner à la France d’autres espoirs. ” Ces mots, il va les laisser aux abords des usines, au cours des luttes où ” l’infatigable unitaire ” comme l’appelait François Billoux, ouvre avec d’autres l’ère du Front populaire.
Pain, paix, liberté ; en 1936, Ambroise est élu député de Paris. A la tête de la fédération des métaux CGT réunifiée, et derrière les bancs de l’Assemblée, il impose la première loi sur les conventions collectives et donne avec Benoît Frachon aux accords Matignon la couleur des congés payés et des quarante heures. Mais la route s’ennuage. A Munich, le soleil de mai décline. Hitler pose ses mains sur les frontières.
Arrêté le 7 octobre 1939, avec d’autres députés communistes, il est incarcéré à la prison de la Santé. Fers aux pieds, il traverse quatorze prisons françaises avant de connaître les procès truqués, la déchéance de ses droits civiques et les horreurs du bagne à Alger. Les coups, les cris, la dysenterie qui dévore. Trois ans d’antichambre de Cayenne.
Libéré en février 1943, il est nommé par la CGT clandestine à la commission consultative du gouvernement provisoire d’Alger. Là, mûrissent les rêves du Conseil national de la Résistance et les grandes inventions sociales de la Libération. La sécurité sociale, bien sûr, dont Ambroise dessine les premières moutures dès la fin 1943. ” En finir avec la souffrance et l’angoisse du lendemain “, disait-il à la tribune le 14 mars 1944. Reste à bâtir l’idée. Le chantier commence en novembre 1945 quand il entre au ministère du Travail. 138 caisses de Sécurité sociale édifiées en deux ans par des anonymes d’usine après leur travail ou sur leurs congés payés, ” pour en terminer, selon les mots du ministre, avec l’indignité des vies dans l’angoisse de l’accident, de la maladie, ou des souffrances de l’enfance “. Mais là ne s’arrête pas l’héritage de celui que tous appellent déjà ” le ministre des travailleurs “.
De 1945 à 1947, il laisse à l’agenda du siècle ses plus belles conquêtes : la généralisation des retraites, un système de prestations familiales unique au monde, les comités d’entreprises, la médecine du travail, le statut des mineurs, celui des électriciens et gaziers (cosigné avec Marcel Paul), les classifications de salaires, la caisse d’intempérie du bâtiment, la loi sur les heures supplémentaires, etc. Une œuvre de titan pour une vie passée au service des autres.
En 1950, alors que la maladie ronge, ses derniers mots à l’Assemblée nationale sont encore pour la Sécurité sociale : ” Jamais nous ne tolérerons que soit rogné un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi humaine et de progrès. ” Un cri, une adresse vers nous comme un appel pour que la Sécurité sociale ne soit pas une coquille vide livrée au privé, mais reste ce qu’il a toujours voulu qu’elle soit : un vrai lieu de solidarité, un rempart contre le rejet, la souffrance et l’exclusion.
Ambroise Croizat est mort à Paris le 10 février 1951. Ils étaient un million pour l’accompagner au Père-Lachaise. Le peuple de France, ” celui qu’il avait aimé et à qui il avait donné le goût de la dignité “, écrivait Jean-Pierre Chabrol dans l’Humanité du jour.